De l’électrification des guitares au déclin des traditions de guitare slide acoustique

 

3.Ruptures et pérennité de la guitare slide acoustique.

Les traditions de guitare slide acoustique, après la faste période des premières décennies du 20ème siècle, se voient peu à peu délaissées, à la fois du fait des changement d’attentes du public et par un évènement de poids, l’invention de l’électrification des guitares. Si la musique hawaïenne ne s’en relève jamais vraiment, le blues acoustique, lui, joui d’une partielle résurrection à partir des années 1960. Plus près de nous, enfin, l’on assiste à un renouveau global du slide, ce par la redécouverte de ses premiers styles de prédilection ainsi qu’à travers l’émergence de nouveau genre se l’appropriant.

a)De l’électrification des guitares au déclin des traditions de guitare slide acoustique.

Si les années 1920 et 1930 marquent l’apogée de la guitare slide, à la fois dans la musique hawaïenne et le blues, l’invention puis la commercialisation de la guitare électrique dès le début des années 1930 transforme vite les traditions musicales populaires d’Amérique du nord, le blues autant que la musique hawaïenne changeant dès lors radicalement de visage.

L’idée d’amplifier la guitare n’est pas nouvelle en 1930, puisqu’à côté de bricolages sans réel succès de la part d’amateurs, Lloyd Loar, ingénieur principal de la fryingpansection recherche et développement de la firme Gibson Guitar CO entre 1919 et 1924, travaille déjà sur cette idée et dispose dès le milieu des années 1920 de prototypes de micros et de guitares électriques. Le principe de micro de Lloyd Loar consiste en un diaphragme tendu sur une anode, le tout recouvert d’un cache en bakélite. Cependant, celui-ci souffre de deux problèmes, qui sont la nécessité d’utiliser un cordon très court vers l’amplificateur, et sa sensibilité à l’humidité, le prototype n’arrivera donc jamais jusqu’à la chaîne de production. Il faut alors attendre l’année 1931 pour voir apparaître la première guitare électrique réellement viable. En effet, 1931 est l’année de la fondation de la société Ro-Pat-In par George Beauchamp et Adolph Rickenbacher, société qui a pour but la réalisation effective de guitares électriques. George Beauchamp a déjà eut l’occasion de voir une guitare électrique fabriquée par Hank Kuhrmeyer en 1928, mais comme l’instrument repose sur un principe d’amplification de la caisse de l’instrument plutôt que des cordes, il n’est pas très réussi et George Beauchamp pense pouvoir réaliser mieux avec son complice A. Rickenbacher. Ainsi, la première guitare électrique viable dans sa conception sort en 1931 sous le nom de A-22, et est affublée du sobriquet de poêle à frire, eut égard sa forme. Le micro monté sur cet instrument devient alors le standard de l’industrie musicale. En pleine période de crise, l’engouement pour la nouvelle invention commence lentement, et sa première apparition en public est le fait de Jack Miller en 1932, qui se produit alors avec l’orchestre de Orville Knapp dans le théâtre Grauman. S’en suit une tournée à travers le pays qui offre une exposition de choix à l’instrument. L’idée de la guitare électrique fait alors rapidement son chemin et après la poêle à frire construite sous le nom de Rickenbacher, plus tard angliciser en Rickenbacker, la plupart des constructeurs de guitares se lancent dans la production de guitares électriques, qui sont pour la majorité, à l’image de la Frying pan, montées avec des manches carrés pour le jeu en lap-steel. Apparaissent alors quelques modifications à l’instrument, qui adopte désormais une forme rectangulaire, et comporte des pieds, laissant les jambes des interprètes libres et permettant ainsi l’augmentation du nombre de cordes de 6 à 12, puis l’adjonction de plusieurs manches puis des systèmes mécaniques pour modifier instantanément l’accordage des instruments.

Pour les joueurs de steel-guitar, l’intérêt d’un instrument amplifié est considérable, la guitare électrique signifie en effet steel_mastersd’abord la fin des restrictions de la steel-guitar dues à son faible volume, et permet d’autre part d’obtenir des notes très longues. L’électrification des guitares ne constitue donc pas seulement un développement technologique, mais change les techniques de la steel-guitar, ses accordages, qui sont désormais variés à l’infini, et plus généralement son style. De l’ancien style en staccato, l’on assiste à l’émergence du style « nahenahe », ou style doux, qui utilise plus de glissandos, des suspensions d’accords et des trémolos prolongés, un style qui présente donc comme une réminiscence du jeu de Dick McIntiresample, rendu enfin abordable par l’électrification. Avec la possibilité de jouer sur le contrôle du volume de l’instrument, les guitaristes Hawaïens développent une large palette de nuances dont le maniement devient la touche d’individualité des musiciens.

Malgré cette deuxième vie insufflée à la guitare hawaïenne, les années 1930 qui voient son apogée, sont aussi le début d’un inexorable déclin autour du monde de la musique hawaïenne. La période de décroissance la plus notable pour la steel-guitar hawaïenne coïncide avec l’invasion du Rock and Roll dans les îles hawaïennes dans les années 1950 et 1960, la steel-guitar atteignant son nadir au début des années 1970, ses représentants se faisant rares et, le plus souvent âgés.

 D’une manière assez analogue, l’introduction de la guitare électrique dans le blues entraîne une révolution irréversible de son style. Alors que l’exode des populations afro-américaines vers les grandes villes du nord des Etats-Unis continu tout au long des années 1930, même en pleine dépression, le blues continu son évolution vers une musique moins solitaire, et les formations plus étoffées que le simple chanteur accompagné de sa guitare deviennent la règle à partir de milieu des années 1930. Ainsi des guitaristes big_bill_broonzycomme Big Bill Broonzy et Lonnie Johnson font, dès le début des années 1930, figure de précurseurs de ce nouveau blues urbain que l’on appelle vite le Chicago blues et dans lequel la guitare joue un nouveau rôle émancipé de la rythmique, désormais réalisée par des batteries, contrebasses et éventuellement par une seconde guitare. Le premier bluesman reconnu ayant utilisé une guitare électrique au milieu des années 1930 est T. Bone Walker (28 mai 1910, Linden, Texas ; 1975, Los Angeles), il est surtout le premier guitar héro, introduisant un jeu de scène furieux au sein de sa musique, déjà assez loin du style rural. Cependant, l’artiste qui crée réellement un engouement pour la guitare électrique dite espagnole, qui est en fait au début une guitare acoustique jazz incorporant un micro, est Charlie Christian, qui joue de sa Gibson ES150 dans l’orchestre de Benny Goodman entre 1939 et 1941. Sous l’influence de ces noms déjà prestigieux, la quasi-totalité des bluesmen urbains adoptent vite la guitare électrique, y compris pour la guitare slide. Dans cette lignée, Tampa Red est le premier guitariste slide du blues à utiliser une guitare électrique, celle-ci lui permet dès 1938 d’étoffer son style ou les lignes mélodiques sont émancipées des accords plaqués à la guitare ou des basses alternées qui sont toujours de mise dans le blues rural. Suivant sa voie, toute une nouvelle génération de guitaristes slide du blues issus d’une tradition plus rurale s’engouffre dans l’électrification. Des musiciens comme McKinley Morganfield, allias Muddy Waterssample(4 avril 1915, Rolling Fork, Mississippi; 30 avril 1983, Westmont, Illinois), Robert Nighthawksample, Elmore James, Earl Hooker, ou encore Hound Dog Taylor deviennent emblématiques d’une nouvelle tradition de guitare slide blues. Un nouveau son est né, un son sale aux guitares pas encore saturées mais déjà crunchy, comme on les appelle alors, et cette fois, la guitare slide n’est plus pleurs mais hurlements, encore une fois les possibilités engendrées par l’amplification des guitares changent radicalement le visage du blues. A l’image de la désillusion que connaissent les afro-américains venu trouver une nouvelle liberté toute illusoire dans le nord des Etats-Unis, le chemin est ouvert pour le Rock and Roll qui émerge dans les années 1950 en droite lignée de ces musiciens qui ont révolutionné le blues. La guitare slide n’est plus intimiste, elle devient la démonstration de l’adaptabilité des musiciens ruraux au monde urbain, et la guitare slide s’oppose au son plus policé, plus propre des formations de blues purement citadines empruntes d’éléments issus du jazz.

Ainsi, à l’instar de la musique hawaïenne, la guitare slide du blues connaît un fléchissement, la tradition de la guitare slide acoustique se voyant éclipsée derrière la muddy_watersnouvelle vague du Chicago Blues, et à partir de la fin des années 1940, les bluesmen solitaires frottant leur goulot de bouteille sur les cordes de guitares sont pour la plupart rentrés dans leur sud profond où ils reprennent généralement le travail des champs. La population noire américaine finie ainsi par se désintéresser du blues dès les années 1960 pour s’orienter vers le Rock and Roll puis vers la musique Soul, qui deviennent les nouveaux moyens d’expression de leur peuple toujours en recherche d’une liberté qu’ils se voient encore refusé. Le blues, lui, est mis de côté pour un temps, jusqu’à ce que les blancs se le réapproprie.

Ce passage de guitare slide acoustique à la suprématie de l’amplification, tant dans le blues que dans la musique hawaïenne, est par ailleurs illustré par l’évolution des catalogues des grands constructeurs de guitares. En effet, peu après l’avènement de l’électrification des guitares, la compagnie National-Dobro, se lance dès 1935 dans la fabrication de guitares électriques, et pour se rapprocher géographiquement des autres fabriquant de guitares comme Kay, Harmony ou Regal, déménage à Chicago en 1936. C’est aussi l’époque où la compagnie commercialise un kit de conversion permettant de remplacer le cône de ses guitares par un micro fixé sur une plaque de mica afin d’électrifier la guitare. La construction des guitares à résonateur commence alors à diminuer, jusqu’à s’arrêter totalement en 1939 pour les guitares National, et en 1940 pour les Dobro, marquant par là la fin de l’ère de la guitare slide acoustique.

Ce déclin, si il marque la fin définitive de la suprématie de la musique hawaïenne, laisse bientôt la place à la redécouverte des pères du blues, et à travers eux de la guitare slide.

<-- précédent - suivant -->


Warning: mysql_connect() [function.mysql-connect]: Access denied for user 'snico2'@'172.20.245.54' (using password: YES) in /mnt/129/sda/3/c/snico2/visite/connect_visite.php on line 6

Warning: mysql_select_db() [function.mysql-select-db]: A link to the server could not be established in /mnt/129/sda/3/c/snico2/visite/connect_visite.php on line 7

Warning: mysql_query() [function.mysql-query]: A link to the server could not be established in /mnt/129/sda/3/c/snico2/visite/visite.php on line 24

Warning: mysql_fetch_object(): supplied argument is not a valid MySQL result resource in /mnt/129/sda/3/c/snico2/visite/visite.php on line 25

Warning: mysql_query() [function.mysql-query]: A link to the server could not be established in /mnt/129/sda/3/c/snico2/visite/visite.php on line 41
requete invalide supp ip