Le blues et les guitares à résonateur

 

b) Le blues et les guitares à résonateur.

L’image des guitares métalliques est aujourd’hui encore largement accolée à celle du bluesman solitaire tirant des cris plaintifs de sa guitare jouée en slide. Ce stéréotype n’est au demeurant pas dénué de fondement puisque les guitares Nationales, dès leur avènement, apportent des sonorités permettant aux musiciens d’y engager leur personnalité, en jouant avec le caractère légèrement « sale » des notes sortant de ces guitares. Ceci est particulièrement vrai pour les guitares à cône unique qui vite deviennent emblématiques du blues rural, même si quelques exceptions notables attestent plus simplement de la filiation entre la popularité de la musique hawaïenne et l’adoption de ses guitares par les bluesmen.

Cette dernière assertion est d’ailleurs cristallisée par un guitariste de blues atypique, qui dans une certaine mesure sert de lien entre la musique hawaïenne et Tampa_Redl’adoption de ses guitares par le monde du blues. Ce musicien se nomme Hudson Whittaker, allias Tampa Red, né à Smithville en Géorgie en 1903, et qui apparaît comme l’un des plus grands guitaristes slide du monde du blues. Tampa Red est aussi le troisième guitariste de studio professionnel noir, précédé seulement de Blind Blake et Lonnie Johnson, et l’un des premiers à entretenir une carrière discographique à Chicago. L’apogée de cette carrière commence en 1928, où il se voit attribué le surnom de « l’homme à la guitare d’or », Tampa Red jouant dès cette époque sur une National Tricone Style 4 dont le corps est plaqué or, un instrument d’un grand prix donc qui témoigne de la prospérité déjà acquise du musicien. Tampa Red voit alors sa Tricone comme un bon moyen de pallier à la qualité fort médiocre des enregistrements de l’époque grâce à la puissance et aux timbres qu’il parvient à en tirer. Si il est l’un des seuls bluesman à adopter une tricône, Tampa Red est aussi atypique de par son jeu au bottleneck qui semble bien plus précis, plus abouti que celui de ses contemporain, le rapprochant ainsi des musiciens hawaïens dont il reprend nombre de techniques. Le son qu’il développe est ainsi d’une inhabituelle clarté, ce par la technique d’étouffement des cordes par la main droite, bien connue des guitaristes hawaïens, qui lui permet une grande sophistication de jeu, et un contrôle accru. La carrière discographique de Tampa Red et de sa Tricone s’étend de 1928 à 1937, période durant laquelle il enregistre de nombreux duo avec le pianiste Georgia Tom Dorsey jusqu’en 1932, puis avec diverses formations comme les Hokum Boys ou encore en solo. Sa popularité est alors gigantesque et l’influence qu’il a sur de nombreux bluesmen entraîne l’engouement de ceux-ci pour les guitares National.sample

Atypique est aussi Black Ace, de son vrai nom Babe Turner, qui est l’un des très rares musiciens de blues à jouer black_acede sa guitare à la manière hawaïenne, à plat sur les genoux. Né  à Hughes Springs au Texas, à quelques Kilomètres de la Louisiane, en 1907, Turner apprend la guitare sur un instrument qu’il fabrique lui-même, et se contente d’animer de petites soirées ou des pique-niques, tout en travaillant à la ferme de ses parents, avant de pouvoir s’offrir sa première vrai guitare à l’âge de 22 ans. La dépression alors en cours étant particulièrement difficile, sa famille et lui-même sont obligés de déménager à maintes reprises pour chercher du travail, quand B. Turner, alors à Shreveport, en Louisiane, fait la rencontre de Oscar Buddy Woods, l’un des seuls musiciens noirs à utiliser sa guitare à la manière hawaïenne, en lap-steel. Les deux artistes travaillent ensemble quelques temps jusqu’à ce que Turner adopte à son tour la position hawaïenne, assimile les techniques de Buddy Woods et s’offre une National Style 2, munie d’un manche carré. Si le jeu de B. Turner n’est pas d’une grande sophistication, il obtient de sa guitare National un timbre d’une grande finesse emprunte de légèreté qui s’accorde bien à sa voix profonde. Turner doit attendre le milieu des années 1930 et le début du ralentissement de la dépression pour susciter l’intérêt des firmes discographiques. En effet, ses premiers enregistrements sont le fait de la compagnie Decca, pour laquelle Turner grave six faces, dont « I Am The Black Ace » qui lui donne son nom de scène. Il enregistre ensuite deux titres pour Vocalion en 1938 sous le nom de Buck Turner, avant d’apparaître fréquemment sur diverses stations de radio comme la KFJZ. B. Turner est ensuite appelé sous les drapeaux pendant la seconde guerre mondiale et ne suscite plus guère d’intérêt parmi le publique, si ce n’est une brève réapparition dans les années 1960.sample

Parmi les représentants éminents du bottleneck blues, Eddie « Son » House, né à Riverton, près de Clarksdale dans le Mississippi en 1902, fait figure de lien entre le son_houseMississippi et Chicago. Si il n’apprend la guitare que tardivement, il se forge vite un style très personnel tout en puissance. Après sa sortie de la prison de Parchman Farm, il rencontre Charley Patton et Willie Brown avec qui il débute une carrière discographique dans le Wisconsin en 1930. Il enregistre à cette session les titres Dry Spell Blues, My Black Mama et Preachin’ Blues, qui révèlent toute la puissance, le rythme et la passion du delta blues. Son House utilise  alors, comme durant toute sa carrière, une Nationale Style O, sur laquelle il exécute des motifs simples et répétitifs, où les lignes de slide mordantes contrastent avec des basses dynamiques et tout en force. La structure harmonique de ses compositions est des plus simple, puisqu’il alterne des titres accompagnés d’un unique accord avec d’autres à la structure caractéristique de 12 mesures dans lesquels seuls quelques allusions sont faites aux variations standard du blues.  Les premiers enregistrements de Son House ne se vendent que très peu, et il faut attendre l’expédition d’Alan Lomax en 1941 pour le compte de la librairie du congrès pour le voir enregistrer à nouveau sur 78 tours avec un succès toujours mitigé, puis sa redécouverte en 1964 qui marque sa tardive popularité avec son style inchangé. Si Son house ne marque pas une révolution de la guitare, sa voix chargée d’une insondable émotion s’accommode parfaitement des lignes épurés de sa National, seule guitare à même d’être audible derrière la grande puissance de sa voix.sample

D’une manière analogue, les guitares National paraissent absolument essentielles au son rugueux du blues de Bukka Bukka_WhiteWhite. Comme il le déclare lui-même, ses guitares National, essentiellement des monocônes, sont d’une puissance telle qu’il n’a pas besoin de micro, et d’une solidité suffisante pour supporter la rudesse du jeu qu’il leur impose, allant jusqu’à s’en servir comme percussions. Après de multiples déménagements dans la région du delta du Mississippi, il s’installe un temps près de la plantation de Dockery, où vie Charley Patton, et si il n’en garde que peu d’influence, la popularité de celui-ci l’attire et il commence vite à exploiter les rudiments de guitare que lui a enseigné son père, guitariste et violoniste, en se produisant dans des cabarets autour du delta du Mississippi et jusqu’à Memphis. Il n’a alors pas plus de 14 ans. Ainsi, à l’âge de 21 ans en 1930, Bukka White est déjà un guitariste slide accompli lorsqu’il passe un contrat  pour la première fois avec la Compagnie Victor. Il gagne 240 dollars et une guitare National. De cette association sortent quatre titres dont The Panama Unlimited, dans lequel il se sert de sa National pour imiter le son d’un train, exercice caractéristique de son style, à l’image des harmonicistes de blues. Ces enregistrement se vendent mal, aussi Bukka White est-il obligé d’attendre 1937 et l’enregistrement de son Shake’ Em On Down pour la compagnie Vocalion pour accéder au succès. Bukka White est ensuite incarcéré la prison de Parchman Farm pendant trois ans, durant lesquels il enregistre deux titres pour John et Alan Lomax en 1939. C’est à sa sortie en 1940 qu’il enregistre à Chicago ses titres les plus fameux comme Parchman Farm Blues, Aberdeen ou Fixin’ to die, suite auxquels il disparaît avant d’être redécouvert, comme tant d’autres, dans les années 1960.sample

A ces guitaristes utilisant la technique du bottleneck sur des guitares National, il faut ajouter l’engouement de nombre de bluesmen des régions limitrophes au delta du Mississppi utilisant la technique du slide sur ces instruments, en vertu de leurs qualités tonales et de puissance. Tel est le cas par exemple des musiciens Blind Boy Fuller et sa Duolian, Scrapper Blackwell et sa Triolian ou encore Bumble Bee Slim et sa Style O, pour ne citer que certains des plus fameux.

Si les noms précités témoignent de l’utilisation des guitares National par quelques uns des plus grands noms de la guitare slide dans le blues, il est également à noter que l’utilisation de ces instruments, inventés peu avant l’électrification des guitares et restant d’un prix relativement élevé, reste le fait des bluesmen les plus privilégiés. En effet la population du sud rural connaît des problèmes économiques qui ne lui permet guère d’accéder aux dernières innovations en matière de lutherie de guitares. L’invention des guitares à résonateur datant par ailleurs de la fin des années 1920, peu de temps s’écoule entre leur popularisation parmi les bluesmen et l’ère nouvelle d’un blues électrifié prenant ses racines à Chicago. Cependant les quelques guitaristes slide à utiliser ces guitares ont un retentissement suffisant pour marquer les esprits de tout le siècle et transforment les guitares National en des pièces très recherchées par les musiciens redécouvrant le blues rural à partir des années 1960.

De la même façon, l’invention ultérieure du Dobro engendre un engouement de taille au sein des musiciens de country, au point que l’on ne parle plus de guitare slide dans ce courant, mais simplement de Dobro.

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